Endless
Review, Zéroquatre n°8, 2012
John Constable a peint plusieurs études d’arc-en-ciel sur papier, dont la plus célèbre, une huile de 1812 intitulée
Moulin à vent à East Bergholt, avec un double arc-en-ciel, à été marouflée sur toile. L’arc-en-ciel, comme l’aurore ou le crépuscule sont quelques-uns des sujets récurrents du naturalisme paysager mais aussi de l’art romantique et symboliste. Les œuvres de Lisa Beck ont quelque chose à voir avec cette rhétorique pré-moderne de la nature comme reflet de l’âme humaine : on y trouve des miroirs peints, des motifs dédoublés par réflexion, des allusions aux couchers de soleils, aux lumières de la ville miroitant sur l’eau ou aux éclats lumineux eux mêmes. Dans le numéro 669 des Cahiers du cinéma, le chef opérateur du film
Super 8 expliquait que J.J. Abrams avait voulu recréer l’enchantement des films de Spielberg en exagérant les
flares, ces tâches et halos de lumière créées par la réflexion d’une source lumineuse sur l’objectif des caméras. De la même manière, on pourrait être tentés de croire que l'art de Lisa Beck est une tentative de ré-enchantement de la peinture abstraite par l’introduction de sujets pré-abstraits.
East River est peut-être l'œuvre de l'exposition qui illustre le mieux cette synthèse entre la radicalité apparente des formes et l'évocation contemplative de la nature, du cosmos ou, ici, d'un paysage urbain. Elle est constituée de deux parties, deux tableaux : l'un au mur, peint de bandes verticales colorées surmontées d'un néon se réfléchissant sur l'autre, au sol (un peu à la manière de certaines compositions d'Ellsworth Kelly). L'incompatibilité entre autonomie supposée de l’art abstrait et introduction de référents extérieurs n'existe que sur le papier : en réalité, cette fidélité aux thématiques issues du romantisme est présente chez de très nombreuses artistes dites minimalistes. Agnès Martin ou Anne Truitt, par exemple, en sont empruntes. Leurs œuvres ne renvoient qu'à elles-mêmes comme une feuille d'arbre ne renvoie qu'à elle-même. Les œuvres, les feuilles d'arbres font partie d'un tout qui implique la littéralité de chaque chose.
Car un autre aspect évident du travail de Lisa Beck est la continuité des parties et du tout, des œuvres et de l'œuvre à proprement parler (au point que les différents éléments d'un ensemble sont parfois reliés entre eux par des câbles). Dans le l'art de Lisa Beck, la sérialité n'est pas liée à des protocoles rationnels ou mathématiques, extérieurs, mais à une succession de choix personnels, intérieurs. L'histoire de l'art est le résultat des choix que font les artistes. Mais c'est aussi celle de leurs doutes, de leurs erreurs et des possibilités qu’ils ont abandonnées. Comme il est possible d'imaginer des mondes parallèles, il est possible d'imaginer des histoires de l'art parallèle. Par son jeu de résonance, de dédoublement et d'unification, l'exposition de Lisa Beck semble évoquer ce genre d'hypothèses, qui posent en négatif une question sans réponse : un artiste a-t-il le choix, ou ne fait-il que réaliser le programme inconscient d'une histoire de l'art dont il est l'instrument, le réflexe ?