Hugo Pernet

Garden Party
Communiqué de presse, galerie Lange+Pult, 2023


Les gens aiment les feux d'artifices. Enfin, pas tous les gens, mais à en juger par la foule se pressant, chaque 14 juillet, autour du lac Kir à Dijon, on peut dire que la tradition reste un spectacle très populaire. Les feux d'artifices, c'est lumineux et coloré, ça fait du bruit, ça fait de la fumée. C'est pour ça que c'est populaire. Ce qui est silencieux, épuré, gris, neutre ; c'est le design, l'architecture contemporaine, les voitures et les vêtements de luxe pour les hommes... Mais il n'en a pas toujours été ainsi. Le minimalisme en tant que mouvement artistique prend pour modèle le monde de la fabrication industrielle. Les "boites" de Donald Judd, les néons de Dan Flavin ou les installations évanescentes de James Turrell figurent parmi les œuvres les plus colorées de l'histoire de l'art. Pourtant, aujourd'hui, le terme minimaliste renvoie plutôt à des intérieurs aseptisés en matériaux naturels.
Le feu d'artifice est peut-être le sujet le moins naturel qu’on puisse traiter, puisque comme son nom l'indique, ces explosions sont totalement artificielles (et intentionnelles). Pendant des siècles, les peintres de paysage se sont posés la question de l'imitation de la nature. Avec le pop art et le minimalisme, les artistes ont en quelque sorte imité la culture. En choisissant de travailler à partir de gravures japonaises du 19ème siècle répertoriant différents types et couleurs d'explosions, Hugo Capron imite lui aussi une première imitation : une stylisation frontale et symétrique d'explosion colorée. Ces gravures ne sont pas naturalistes, elles ont pour but de proposer, comme dans un catalogue, des variations d'effets possibles à partir d'une même idée.

L'un des effets les plus inattendus de l’abstraction radicale sur la peinture actuelle pourrait bien être l'importance donnée à la variation. En tant que motif, le feu d'artifices incarne une étape intermédiaire entre figuration et abstraction, car hormis quelques tentatives "figuratives" toujours un peu vaines (le "bouquet final" ou les thématiques imposées), ces gros pétards restent des boules lumineuses et éphémères soumises à la gravité et aux aléas de la météo : un spectacle proprement abstrait (de la même manière que le patinage dit "artistique" ne porte en réalité pas sur l'art "figuré" par le patineur mais sur l’abstraction que constitue la technique du patinage).
Les premières peintures d'Hugo Capron s'inscrivaient dans le genre de l'abstraction radicale processuelle : obéissant à une exigence de "rendement" impossible à atteindre, elles semblaient à la fois fatalement inachevées et toujours en attente d’une nouvelle variante. Les tableaux actuels se présentent comme des peintures figuratives qui réactivent le plaisir enfantin du feu d'artifice. Il y a une grande différence entre les premières tentatives de la série et les dernières versions, très sophistiquées : alors qu'elles affichaient au départ une facture plutôt expressionniste – plus proche de l'idée d'explosion pure et simple, elles se dirigent aujourd'hui vers un stade pointilliste et presque ordonné. Certaines peintures vont jusqu'à supprimer la partie "tracée" pour ne conserver que les dots colorés, un peu comme les fusées dorées qui retombent dans le Nocturne en noir et or de Whistler.
Mais cette fois le peintre semble construire un monde mieux délimité : le motif s'arrête au bord du rectangle réel du châssis et refuse de simuler un espace en dehors de son champ. Si la série se prolonge d'une toile à l'autre en évoluant comme le font les Pokémon (à l’image de la théorie de Darwin, qui soit dit en passant est le nom du chat de l’artiste), chaque tableau de Capron possède néanmoins sa propre vie. Elle est enclose dans une espèce de boule à neige ; ces paysages miniatures remplis d'eau, qu'on agite et retourne pour y regarder tomber des flocons imaginaires.

En choisissant de traiter un sujet aussi évidemment superficiel, l'artiste prend le risque de décrire en négatif tout ce que sa peinture n'est pas (ou pas seulement) : un spectacle son & lumière, de la décoration d'intérieur... tout en assumant qu'elle puisse être en même temps appréciée précisément pour ces qualités là. Choisir de faire de la peinture sur toile, c'est comme cocher la case pour accepter les conditions générales de vente. On accepte de jouer le jeu du marché, en créant un artefact que l'histoire a inventé pour cette raison particulière ; répondre à la demande (quand ça n'est pas directement une commande) d'un objet pouvant être exposé, transporté, vendu, admiré en groupe ou en secret, critiqué, ou même pris pour cible.
Une garden party est une fête luxueuse, en extérieur, dans les beaux jardins de belles demeures, accueillant du "beau monde". Ces codes de réceptions viennent des classes aisées, mais ils sont repris à tous les échelons de la société – de l'Élysée au comité d'entreprise. Le vernissage d'une exposition peut réunir des personnes dont les revenus et le statut social diffèrent très fortement, partageant pour quelques heures et par l'entremise de la mondanité un moment de cohésion professionnelle. Si le sport peut être vu comme une métaphore de la guerre, la garden party peut être imaginée comme une métaphore de la diplomatie qui se joue entre l’intention artistique et les attentes implicites du marché. Dans son exposition, Hugo Capron célèbre ainsi l’alliance du pur plaisir de peindre avec la pleine conscience du pouvoir réflexif de son médium.