Hugo Pernet

Ne pleure pas paillette
Review, 2025


La première fois que j’ai vu une peinture d’Astrid Dick, c’était un tout petit format. Mais j’ai découvert ensuite qu’elle en peignait également de très grands. Les petits formats de Dick sont tout aussi importants que les grands, et peut-être encore plus, car chacun procède d’une approche spécifique, quant au support (toile, mousse d’isolation, bois) et à la technique (huile, pigment, et aujourd’hui paillettes). L’apparition de la paillette dans le vocabulaire artistique d’Astrid Dick a de quoi surprendre. Sa peinture, bien que s’apparentant à une réinterprétation de l’histoire de l’abstraction (dans un large spectre allant de la géométrie à l’expressionisme), n’avait pas encore exploré cette dimension pop. Ce que le titre de l’exposition suggère, c’est que ce qui paraît futile et décoratif pourrait bien contenir une composante existentielle.

En utilisant la paillette comme un pigment lié seulement par la peinture à laquelle elle se mélange, elle tente d’en faire un élément naturel de son lexique, pour l’ajouter à la terminologie vernaculaire de la peinture abstraite (si vous avez compris cette phrase, c’est que vous êtes familiers de cette terminologie). Le rôle de la paillette pourrait être de contrebalancer le sérieux et les grandes intentions artistiques incarnés formellement par les formats rectangulaires, les tableaux de grilles modernistes, de bandes ou les monochromes. Ainsi, un « carré noir » peint avec un pigment très mat sera placé sur le même plan qu’un quasi « ready-made » de tissus pailleté tendu sur un petit châssis. Dans la peinture d’Astrid Dick, la cohabitation du sérieux, presque mystique, avec le trivial, n’est pas soumise à un jugement de valeur : la paillette n’est pas seulement le discret rehaut des robes de star, c’est aussi l’exubérance total look du disco, le cheap de la sandale de plage ou du t-shirt de la reine des neiges. Ce fourre-tout sociologique procure une joie visuelle qu’une artiste ne peut pas ignorer. La peinture est une interrogation sur la valeur, et en cela elle a beaucoup à voir avec l’art conceptuel, le dadaïsme ou son pendant dit « amateur ».

À la différence de celui qu’en fait John Armleder, son usage est ici moins ironique que poétique. L’une des œuvres de l’exposition, un petit carré blanc et donc partiellement brillant, fait plus penser à la matière dure et coupante de la neige quand elle a gelé qu’à un tableau de Robert Ryman. On retrouve dans le travail d’Astrid cette liberté qui nous fait plutôt pencher du côté de l’interprétation ouverte que de celui, trop étroit, de la référence intellectuelle. D’autres peintures pailletées renvoient à une analogie cosmique. Tout le monde a besoin d’un carré noir, et Tout le monde a besoin d’un carré rose réussissent l’exploit d’exister en tant que carré tout en étant également des peintures de bande (stripe). Le format du tableau est traversé horizontalement ou verticalement par une bande de couleur qui vient former un carré avec les lignes des bords où elle s’arrête. Ce qui est très clair en peinture est souvent difficile à décrire par le langage, et c’est pour cela que la peinture existe.

Il faut faire preuve d’un certain courage pour refuser les effets de « signature » si courants dans la peinture abstraite. Ce courage implique l’acceptation de ne pas être aimée, comprise, reconnue. D’avancer avec l’esprit d’aventure, vers « un non-savoir sachant », comme l’écrivait Jean de la croix dans ses poèmes mystiques. De trouver la détermination et la force de se sentir légitime, de relire une histoire écrite par les hommes, d’affronter le snobisme d’un critique d’art. La peinture d’Astrid Dick est tout à la fois un combat et un jeu. C’est pourquoi on lui trouve toujours quelque chose d’un peu painterly : le tableau est un objet concret qui raconte sa propre matérialisation, et dans ce récit en actes se greffent émotions et pensées parasites, paillettes de subjectivité tombées dans ce volcan en formation.